A. Tscherrig: Krankenbesuch verboten!

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Titel
Krankenbesuch verboten!. Die Spanische Grippe 1918/19 und die kantonalen Sanitätsbehörden in Basel-Landschaft und Basel-Stadt


Autor(en)
Tscherrig, Andreas
Reihe
Quellen und Forschungen zur Geschichte und Landeskunde des Kantons Basel-Landschaft (97)
Erschienen
Liestal 2016: Verlag des Kantons Basel-Landschaft
Anzahl Seiten
244 S.
von
Séveric Yersin, Basel Graduate School of History, Universität Basel

Si le centenaire de la Grève générale de 1918 et la fin de la Première Guerre mondiale ont suscité un grand nombre de publications, force est de constater que la pandémie de grippe de 1918–1919 n’a pas rencontré le même intérêt. Le livre de Tscherrig reste ainsi la seule monographie sur l’épisode en Suisse: bien que, avec les 24’449 morts (p. 170) recensés sur l’ensemble du territoire, l’épisode représente la plus grave crise sanitaire de la Suisse moderne, notre compréhension est au mieux superficielle. Comme l’auteur le rappelle, la pandémie grippale de 1918 reste considérée comme une «note de bas de page» de la Première Guerre mondiale (p. 15). Cette lacune historiographique apparaît d’autant plus clairement que l’actualité de la pandémie de Covid-19 est régulièrement analysée au prisme de la grippe de 1918, avec une pertinence toute relative.

Krankenbesuch verboten! est issu du travail de mémoire que Tscherrig a rédigé en 2014 à l’Université de Berne. Le corps du texte est sensiblement inchangé, l’ouvrage conserve donc de bout en bout la forme, le ton et l’ambition d’un travail de mémoire. La recherche est ainsi organisée autour d’une question descriptive: quelles ont été les réactions des autorités de Bâle-Campagne et de Bâle-Ville face à l’épidémie grippale (p. 11)? L’auteur y répond de manière comparative en étudiant les archives des autorités cantonales, principalement celles de leur exécutif ainsi que des autorités sanitaires et militaires. Une consultation sélective de la presse ainsi que des archives fédérales complète avantageusement son analyse.

Tscherrig montre que, si la santé publique est essentiellement une compétence cantonale, les impulsions viennent des autorités fédérales pour ce qui est de la lutte contre les épidémies. Les premières mesures de lutte contre la grippe sont ainsi prises à la suite de l’Arrêté fédéral du 18 juillet 1918, lequel autorise les cantons à décréter des interdictions de rassemblement (p. 59). Suivront notamment l’obligation de déclaration des cas de maladie ainsi que le versement de subsides fédéraux entre octobre et novembre (p. 138), à quoi s’ajouteront trois millions de francs pour les assurances maladies (p. 139). En étudiant l’application des instructions fédérales par les cantons, Tscherrig souligne que le contexte politique et l’organisation administrative jouent un rôle majeur dans la nature des mesures adoptées, de même que les structures sociale et économique.

Bâle-Campagne décrète ainsi le 22 juillet 1918 l’interdiction de rassemblement, sauf autorisation du Département de police; plus encore, le Canton délègue aux communes la compétence de fermer les écoles et les lieux de restauration ainsi que de suspendre le service religieux (p. 63). Le Conseil d’État mise donc sur une politique interventionniste appliquée par les communes (p. 80), avec comme objectif prioritaire de contenir la maladie (p. 185). Plus concrètement, le canton opte pour une stratégie visant à éviter les rassemblements ainsi qu’à isoler les malades et leurs proches (p. 184) en construisant des hôpitaux de secours (pp. 133–135). La répartition des compétences sanitaires entre le canton et les communes apparaît progressivement comme un problème, et le Conseil d’État procède à une centralisation des pouvoirs entre octobre et novembre 1918 (pp. 113–115).

Bâle-Ville opte pour une approche radicalement différente, puisque les mesures les plus intrusives sont rejetées. Ainsi – et malgré des débats redoublés en octobre-novembre – le Conseil d’État ne décrète pas d’interdiction de rassemblement, à laquelle il préfère les campagnes d’information et de recommandation à la population (p. 187). En parallèle, les vacances d’été des établissements scolaires sont prolongées, et ceux-ci sont fermés plusieurs semaines en automne (p. 90–91). Par ailleurs, le Canton ouvre, au plus fort de l’épidémie, un hôpital de secours, pour lequel le personnel soignant manque cependant – une situation que même les subsides fédéraux ne parviennent à améliorer (p. 103).

Tscherrig parvient à la conclusion que les deux cantons choisissent des mesures largement similaires, la principale différence résidant dans «le degré de contrainte légale» employé (p. 190). Selon l’auteur, cette situation est due à la différence entre ville et campagne: en ville, la capacité de l’État à contrôler les mouvements de la population est plus restreinte qu’à la campagne, et les pertes économiques trop importantes pour permettre les mesures les plus restrictives. Cette thèse mériterait d’être affinée, notamment en intégrant l’épisode épidémique dans l’histoire longue de la maladie et, surtout, en replaçant dans le contexte de la Suisse de 1918.

Ce dernier point est l’une des deux grandes faiblesses de l’ouvrage: l’épidémie est étudiée pour elle-même, pratiquement hors du contexte de 1918. Or, la coïncidence entre crise sanitaire et crise sociale soulève de nombreuses interrogations que l’auteur ne traite pas: que dire, par exemple, de l’impact financier de la grippe sur la population en période de forte inflation? Ou encore de l’interdiction de rassemblement dans le contexte des mouvements sociaux et de la Grève générale – et de son instrumentalisation? Il est à ce titre frappant que l’interdiction de rassemblement soit entièrement abordée sous l’angle de la lutte contre les épidémies – bien que l’historiographie ait insisté sur son rôle dans les journées de novembre.

La seconde grande lacune est l’absence d’une historicisation de son objet central, la grippe et la lutte contre les épidémies. Bien que Tscherrig rappelle que la pandémie grippale de 1889–1890 constitue, pour les contemporains, «un point de référence» (p. 39), il ne s’intéresse pas à la construction sociale de la maladie, à son évolution et au problème qu’elle représente dans un contexte de bactériologie triomphante. De même, l’auteur n’interroge pas la pratique de lutte contre les épidémies – et laisse au lecteur le soin de se demander pourquoi, bien que les statistiques fédérales dessinent les contours d’une maladie dangereuse depuis 1889, la maladie n’est pas couverte par la législation fédérale sur les épidémies adoptée en 1886.

Krankenbesuch verboten! constitue l’étude publiée la plus profonde de l’expérience helvétique. Ses limites et lacunes sont celles d’un travail de mémoire. La lecture n’en est pas moins recommandable pour qui s’intéresse au sujet ainsi qu’à la Suisse de la fin de la Première Guerre mondiale; elle l’est encore plus dans la période actuelle.

Zitierweise:
Yersin, Séveric: Rezension zu: Tscherrig, Andreas: Krankenbesuch verboten! Die Spanische Grippe 1918/19 und die kantonalen Sanitätsbehörden in Basel-Landschaft und Basel-Stadt, Liesta 2016. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 70 (2), 2020, S. 330-332. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00063>.